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Les effets des outils de travail du leader sur sa vulnérabilité : une étude exploratoire multisectorielle inspirée des travaux d’Ivan Illich
Thèse en Sciences de Gestion, soutenue le 18 janvier 2024.
Dans les organisations comme dans la littérature académique, le leader est souvent présenté et perçu comme « puissant », parce qu’il dispose de traits personnels singuliers (tels que le charisme), des compétences ou une intelligence supérieure, mais aussi par les capacités octroyées à sa fonction qui lui permettent d’agir et de faire agir ses collaborateurs. Une autre représentation tant pratique qu’académique exprime le leader comme fondamentalement vulnérable. Qu’elle soit liée à un état de santé, à une situation sociale délicate, à l’incertitude sur les décisions à prendre ou autre, cette vulnérabilité peut se résumer à une défaillance de capacités personnelles ou opérationnelles qui l’expose à l’échec. Pourtant, le leader dispose « d’outils de travail » censés l’aider à accomplir sa mission, donc à réduire le risque de défaillance et finalement à le rendre moins vulnérable. Constatant qu’il n’existe quasiment pas de littérature académique sur ce sujet, notre recherche s’est concentrée sur les usages des outils des leaders, les mécanismes d’évolution de ces usages et les ressentis conséquents en termes de vulnérabilité. En développant une approche inspirée des travaux d’Ivan Illich (1926-2002), nous cherchons à établir dans quelle mesure l’usage des outils atténue la vulnérabilité des leaders ou, à l’inverse, peut l’accentuer. Nous avons donc conduit une recherche auprès de 62 leaders de quatre secteurs : l’énergie, la protection sociale, la santé et l’armée. Les résultats mettent en avant que la mission du leader ne se résume pas à embarquer des personnes, elle inclut également des dimensions de gestion et parfois de « gestes de métier » qui le rend crédible comme leader (notamment chez les soignants et les officiers). Les résultats montrent également que les outils de travail génèrent suffisamment de capacités pour réduire le risque opérationnel et même pour avoir des vertus rassurantes, aidant ainsi le leader à accepter ce que nous appelons une certaine « tolérance à sa vulnérabilité ». Mais lorsque le rythme d’usage des outils s’accélère trop ou si cet usage se routinise excessivement, les capacités du leader se trouvent de nouveau insuffisantes et ce dernier doit ajuster l’usage des outils pour renouer avec sa « tolérance à la vulnérabilité ». Sa fonction lui donne une certaine latitude en ce domaine, puisqu’il peut par exemple imposer à ses subordonnés de nouvelles façons de travailler. Notre recherche aboutit à une modélisation heuristique qui met en lumière deux seuils de tolérance à la vulnérabilité : un premier autour duquel les leaders ajustent leurs routines d’usage, un second au-delà duquel il n’y a plus de capacités d’ajustement et les leaders doivent s’imposer une mise à distance des outils pour espérer recouvrer de leurs capacités d’agir. Cette recherche propose une compréhension du leader prenant en compte son travail réel et elle suggère de ce fait une conception réaliste de sa vulnérabilité, c’est-à-dire déterminée par son travail lui-même. Au-delà de la figure du personnage « puissant » qui doit convaincre et embarquer les collaborateurs, le leader apparait d’abord comme un travailleur qui doit accomplir des tâches, avec des capacités et mais aussi des risques de défaillance généré par l’exercice de sa fonction. Cette recherche contribue en particulier à éclairer en quoi la standardisation des outils peut non seulement influer sur ses capacités d’agir mais à terme sur ce qui le définit comme leader.
Mots-clés : Leader ; Vulnérabilité ; Outils de gestion ; Outils de travail ; Ivan Illich ; Institutionnalisation ; Routinisation ; Autonomie ; Hétéronomie ; Convivialité ; Travail réel
In organizations or in the academic literature, the leader is often represented and perceived as “powerful”, because he has unique personal traits (such as charisma), skills or superior intelligence, but also because his function grants him abilities which allow him to act as well as to put his collaborators in motion. Another practical and academic representation expresses the leader as fundamentally vulnerable. May it be related to a state of health, a delicate social situation, or uncertainty about the decisions to be made, this vulnerability can be summed up as a lack of personal or operational capacities which puts the leader in risk of failure. Yet the leader disposes of “work tools”. The latter are supposed to help him accomplish his mission, decrease his risk of failure and therefore being less vulnerable. As we noticed that there is almost no academic literature on this topic, our research focuses on the uses of leaders’ tools, the evolutionary mechanisms of these uses and the subsequent feelings in terms of vulnerability. Our study takes an approach based on the works of Ivan Illich (1926-2002) and aims at establishing to what extent the use of tools mitigates leaders’ vulnerability or on the contrary accentuates it. We therefore conducted an exploratory inductive research with 62 leaders from the energy, social protection, health and military sectors. The results of this research highlight that the leader's mission is not limited to leading people. It also includes dimensions of management and pure professional actions which make him credible as a leader (especially for caregivers and officers). Besides, the results show that work tools generate enough capabilities to reduce operational risk and sometimes even have reassuring virtues, thus helping the leader to accept what we call a certain “tolerance of vulnerability”. But when the pace of use of tools accelerates too much or when the uses become excessively routinized, the leader's capabilities find themselves insufficient again and the latter must adjust his routines to reconnect with this “tolerance of vulnerability”. As a leader, he disposes of a large range of possible adjustments, as he can, for instance, impose new ways of working on his subordinates. Our research concludes with a heuristic model which highlights two tolerance thresholds: a first threshold around which leaders adapt their routines, and a second threshold beyond which there are no more adjustment capacities, forcing leaders to distance themselves and hope to recover their abilities. This research offers an understanding of the leader which takes in account his real work and suggests a realistic conception of his vulnerability which is determined by work itself. Beyond a powerful figure who must convince and lead, the leader also remains a worker who must accomplish tasks, with capacities and constraints that are generated by his function. This research particularly contributes to explain how the standardization of tools can influence a leader’s abilities and ultimately influence what defines him as a leader.
Keywords: Leader ; Vulnerability ; Management tools ; Work tools ; Ivan Illich ; Instiutionalization ; Routinization ; Autonomy ; Heteronomy ; Conviviality ; Real work
Directeur de thèse : Pierre-Yves GOMEZ
Membres du jury :
- M. GOMEZ Pierre-Yves, Directeur de thèse, Professeur habilité à diriger des recherches, EMLyon Business School, France,
- Mme FREMEAUX Sandrine, Rapporteure, Professeure habilitée à diriger des recherches, Audencia, Nantes, France,
- M. TORRES Olivier, Rapporteur, Professeur des universités, Université Paul Valérie, Montpellier, France,
- Mme HUSSLER Caroline, Professeure des universités, Université Jean Moulin Lyon 3, France,
- M. TASKIN Laurent, Professeur, Université Catholique, Louvain, Belgique.
- Mme FREMEAUX Sandrine, Rapporteure, Professeure habilitée à diriger des recherches, Audencia, Nantes, France,
- M. TORRES Olivier, Rapporteur, Professeur des universités, Université Paul Valérie, Montpellier, France,
- Mme HUSSLER Caroline, Professeure des universités, Université Jean Moulin Lyon 3, France,
- M. TASKIN Laurent, Professeur, Université Catholique, Louvain, Belgique.
Président du jury : Caroline HUSSLER